Le deuil
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- L’endeuillé par suicide
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LE DEUIL ET LA PERTE AMOUREUSE
Le deuil et la perte amoureuse nous fragilisent et nous rendent inconfortables; les émotions, les états d’âme qu’ils soulèvent ne concordent pas avec les valeurs sociales de performance, de contrôle, de solidité, etc. Cela est pourtant incontournable et nous frappe tous !
Plusieurs idées fausses sont véhiculées sur le deuil. On entendra qu’il est une maladie, que la tristesse y indique la faiblesse émotive, la dépendance affective et l’insécurité… Certains penseront à tort que tous les deuils sont identiques, qu’ils ont la même durée et qu’à perte égale, il y a douleur égale pour tous. Au contraire, la façon dont chaque personne vit la perte d’une personne qui lui est chère est unique. Elle est influencée par nos facteurs de personnalité, notre environnement social, les conditions de décès de la personne décédée, la façon dont se fait la séparation, notre degré d’attachement avec elle. Loin d’être statique, le deuil est un processus normal de guérison à la suite de la perte d’une personne significative. Il comprend le détachement de la personne décédée ou aimée et la réorganisation sur tous les plans de la personne en deuil. Ce processus exige énormément d’énergie et s’avère nécessaire à une saine poursuite de la vie.
Les étapes dans le processus de deuil
Le choc, le déni
Voilà donc que s’est produite l’annonce de la mort ou de la séparation. La première réaction de la personne en est une de choc et de déni. L’intelligence peut comprendre mais les cellules du corps réagissent à la perte. On entendra « non je rêve, ce n’est pas vrai, dites-moi… », avec une impression de vivre un cauchemar et que l’on va se réveiller pour réaliser que ce n’est pas vrai.
Le déni peut durer de quelques secondes à quelques heures, quelques jours voire des années. Certaines personnes n’en sortent jamais. On pourrait comparer le déni à la réponse d’un système interne de gestion de l’intensité des émotions ; trouvant la charge émotive trop forte, il décide de couper le courant. On voit alors la personne endeuillée accueillir les proches au salon funéraire, recevoir leurs sympathies, leurs condoléances en ne montrant aucun affect ou presque. Ou la personne qui vit la séparation, continuer sa vie comme si de rien n’était, éviter d’en parler.
Cette attitude non émotive est valorisée dans notre société. On entendra des commentaires tels : « Il fait bien cela, qu’il est fort ! » et on dira à l’endeuillé : « Reste fort, tu vas voir, ça va s’arranger ! » Il y aura ainsi une forme d’encouragement à maintenir la personne dans ce déni de toutes ses émotions de tristesse, de colère, d’impuissance, d’angoisse… Cet encouragement social n’incitera pas la personne à se confier lorsque les émotions feront surface et qu’elle ne saura pas ce qui lui arrive.
À court terme, le déni a cependant son utilité ; il permet à la personne de pouvoir continuer à fonctionner. Il est sécurisant de continuer de performer au travail, de faire ses activités ou pour l’endeuillé, il y a beaucoup de formalités, d’arrangements funéraires et autres détails à régler. Certaines personnes feront même le choix conscient d’écarter leurs réactions émotives uniquement pour demeurer fonctionnelles.
Le déni se termine pour la plupart des gens lors de l’exposition et au « retour à la maison » après le service funéraire ou lors de la perte réelle de la personne aimée, peu après la séparation réelle ou le déménagement. Certains n’arrivent pas à s’en sortir car la douleur est trop grande et ils rejettent la réalité de la mort ou de la perte de la personne significative. Le déni peut ainsi durer fort longtemps, voire des années. Le déni prend de multiples formes, telles qu’imaginer l’autre toujours avec soi mais dans l’invisible, espérer conserver en place tous les objets de la personne disparue, transformer la chambre en une sorte de sanctuaire chargé de souvenirs évoquant la présence du disparu. Dans le cas de la perte amoureuse, certain continueront d’espérer que la personne reviendra.
La charge émotive du deuil n’ayant pas été évacuée, elle contaminera peu à peu tous les secteurs de la vie personnelle : Impatience, intolérance, dépression, tristesse. Le travail de la personne pourra même en être affecté au point d’occasionner la perte de son emploi. Sa santé physique sera touchée. La psychothérapie sera des plus utiles pour ces personnes aux prises dans le déni.
La désorganisation
C’est l’étape la plus difficile du deuil. Le déni fait maintenant place à la dure réalité. La personne réalise au fil des jours que « non, jamais plus… » Tout lui fait penser au disparu, à la perte : une chaise, des vêtements, une tasse, une place vide à la table, la place trop vide dans le lit, tout ! De très fortes émotions de tristesse, de colère, de révolte, de culpabilité envahissent la personne. Elle a la sensation de perdre le contrôle sur sa vie. La tension, l’agitation et même la panique sont présentes. La psychothérapie sera d’un grand secours pour les personnes incapables de se sortir de cette étape.
C’est ici que la plupart des gens se demandent s’ils ont un problème ! C’est une période où les bons souvenirs refont surface et où l’endeuillé aura tendance à idéaliser la personne disparue. Dans le cas d’une séparation, les gens peuvent passer de l’idéalisation et la dévaluation de l’objet perdu. Les émotions fluctuent, viennent par vagues et peuvent parfois submerger la personne endeuillée: « Cela fait si mal, la douleur est tellement profonde que j’en ai mal à l’âme » affirment de nombreuses personnes.
Le corps en est affecté et le système immunitaire, affaibli, conséquemment au fait que la plupart des gens ont tendance à moins bien se nourrir, moins prendre soin d’eux-mêmes et que ce processus émotionnel requiert beaucoup d’énergie.
Il s’agit d’une période où la présence, le cœur, la compassion, l’écoute d’une personne sont tellement importantes et bienfaisantes. Il y a un besoin criant de parler, de raconter, de s’appuyer sur quelqu’un. Il est important que la personne puisse ici exprimer son ressenti, que ce soit verbalement, dans la création, le mouvement ou autre. Le corps demande à relâcher la charge émotive qui l’habite ; il souffre.
La réorganisation
Cette période ressemble à une convalescence. La charge émotive de la personne est toujours présente mais elle a baissé. Il est de plus en plus facile pour l’endeuillé ou la personne séparée de contrôler ses émotions, de choisir des moments pour les exprimer et de vivre une stabilité émotive. L’espoir revient peu à peu. On entend des choses comme : « Jamais je n’aurais pensé que j’en arriverais à … »
La réappropriation de la vie
La charge émotive est beaucoup plus faible. La personne prend conscience de ce qu’elle est, des habiletés qu’elle a développées pour se sortir de son deuil. Riche de ses nouvelles ressources, elle ressent son identité sans l’autre, définit un nouveau sens à sa vie et s’affirme davantage. Son réseau social peut s’être modifié au fil de sa réorganisation, elle a raffermi des liens avec certaines personnes, en a tissé avec d’autres et certaines personnes jadis présentes ne font plus partie de son entourage.
Il y a regain d’énergie. La créativité revient. C’est une période d’ouverture à l’avenir. Des personnes se surprendront ici à élaborer des projets. Certaines voudront garder secrets ces nouveaux projets d’avenir qui les excitent par crainte qu’ils ne soient mal accueillis.
La transformation, la « guérison »
Cette étape s’adresse à ceux qui incluent la dimension spirituelle dans leur conception de la personne. La personne en arrive à s’investir complètement dans le monde des vivants. Alors qu’à l’étape de la désorganisation, la personne était centrée sur elle-même et n’avait aucune écoute pour les autres, elle est maintenant ouverte, capable de compassion et de soutien pour les personnes de son entourage. N’étant plus aux prises avec son émotivité, elle est maintenant prête à pardonner au défunt ou au conjoint pour ses torts et, fait très important, à se pardonner à elle-même ses manquements dans la relation avec le disparu.
Conclusion
Dans le passé, les rituels funéraires religieux offraient des repères qui s’échelonnaient sur plusieurs mois. Les dimanches étaient consacrés à la spiritualité et à la famille. Ces rituels facilitaient l’expression des émotions et apportaient un soutien social à l’endeuillé. Leur disparition progressive laisse les gens dans un manque de lieux, de temps et de possibilité d’expression des émotions soulevées par leur deuil.
Faut-il encore le préciser, le deuil est méconnu et cela entraîne trop souvent sa médicalisation. Des personnes en déni ou en désorganisation se pointent aux cliniques d’où elles sortent avec des antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères et autres. Trop de gens souffrent inutilement de ne pas connaître le deuil, alors que cette épreuve peut être vue comme une opportunité de croissance, à mieux tolérer les tensions.
Extrait de : Lemieux, Michel, M.Ps. Le deuil : incontournable réalité méconnue de la vie. Psychologie Québec, nov. 2002, pp12-15.
Références :
Pinard, S. De l’autre côté des larmes. Guide pour une traversée consciente du deuil. Boucherville, Editions de Mortagne, 1997, 98p.
Monbourquette, Jean. Grandir. Aimer, perdre et grandir. Éditions Novalis, 2004, 166p.
Rinpoché, Sogyal. Le livre tibétain de la vie et de la mort. Le livre de poche, 1992, 701p.
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LES ENDEUILLÉS PAR SUICIDE
L’endeuillé par suicide a sensiblement les mêmes réactions que d’autres endeuillés (accident, maladie, mort d’un proche). Cependant, les réactions sont amplifiées à cause du caractère violent de la mort. Voyons qu’elles sont ces différences au niveau de chaque étape.
Le choc –Le déni
L’endeuillé par suicide refuse l’idée même du suicide et tente de dénaturer les faits. Conscient des préjugés sociaux vis-à-vis du suicide, il se protège contre la stigmatisation et la honte. Il limite l’accès aux funérailles et ne veut pas ébruiter la nature du décès. L’endeuillé croit que personne ne peut l’aider et qu’il doit vivre seul avec ses propres émotions. Il doit se protéger du rejet et des reproches qu’il appréhende de la part des autres. Le déni est plus fort et dure plus longtemps que pour tout endeuillé.
La protestation
Il s’agit d’une étape où la personne est aux prises avec plusieurs émotions: colère, agressivité, honte, culpabilité. Le décès n’est pas accepté et l’endeuillé trouve cela injuste de ne pas avoir eu le temps de se réconcilier avec la personne disparue, d’avoir pu lui dire combien on l’aimait, d’avoir pu l’aider. Les personnes se sentent impuissantes, abandonnées, démunies, aigries face à la mort.
Le suicide laisse aux survivants un sentiment aigu d’abandon et de rejet qui éveille beaucoup de colère. L’ambivalence est à son comble. Confronté au tabou d’être en colère contre un mort, l’endeuillé par suicide a tendance très souvent à retourner la colère contre soi, à la nier, à réinventer les circonstances du décès afin d’occulter l’idée du suicide. Malgré toutes ses tentatives de s’évader de la réalité du suicide, l’endeuillé se sent envahi par cette réalité qu’il trouve lourde à porter. Il est à la fois tenté d’accuser la famille de n’avoir rien fait pour empêcher ce geste et de fuir les reproches de celle-ci. Ces reproches potentiels sont d’autant plus cinglants qu’il se les formule personnellement dans son jardin secret.
À l’étape de la protestation, l’endeuillé combat la honte qui l’envahit, cette honte associée à un mythe très solide et pernicieux : le suicide est un acte de lâcheté. Il ne perçoit pas que le suicide puisse être un manque de choix, de solutions à une souffrance devenue trop grande pour le suicidé.
La désorganisation
Le désespoir, la dépression, l’impuissance, l’abandon et la culpabilité sont vécus à plein. Les « j’aurais donc dû », les « si j’avais su » deviennent insoutenables. L’endeuillé se retrouve soudainement en situation de crise, potentiellement suicidaire si le soutien est déficient et si la quête de sens à la mort du défunt et à la vie de l’endeuillé n’aboutissent pas. C’est une étape de repli sur soi, d’isolement intérieur et de souffrance profonde. La culpabilité est immense ; il a l’impression de ne pas avoir été assez vigilant face aux signes, il peut parfois penser qu’il a été la raison du suicide. La honte est souvent une émotion qui freine l’endeuillé à s’ouvrir aux autres.
La réorganisation
L’endeuillé par suicide atteint cette étape lorsqu’il accepte finalement de ne pas avoir perçu avec assez d’acuité les signes précurseurs et qu’il comprend ce qu’est le geste suicidaire : c’est vouloir faire mourir cette vie de souffrance quand on a perdu tout espoir.
Le risque suicidaire chez l’endeuillé par suicide
L’endeuillé par suicide peut lui-même vivre une crise suicidaire puisque le suicide fait maintenant partie de sa vie et devient une option concrète pour éliminer la souffrance. De plus, le processus d’identification au suicidé constitue, pendant un certain temps, une façon de ne pas vivre la perte. En devenant, comme l’autre, on n’a pas à affronter la séparation douloureuse. Cette identification peut alors prendre la forme d’un désir persistant d’aller rejoindre l’autre ou faire comme il a fait.
Il faut donc être attentif à toute manifestation d’un désir de mourir : l’isolement, la confusion, le changement d’humeur, la difficulté de se concentrer et surtout, le silence.
Il est primordial de permettre à l’endeuillé de se conter, donc de l’accompagner, lui permettre de vivre à fond chacune des étapes du deuil. Mais pour ce faire, nous devons être conscient de nos limites et savoir jusqu’où nous sommes prêts à aider. Il ne faut jamais dépasser nos propres limites. Ce que vit l’endeuillé par suicide nous rejoint dans nos propres deuils, dans notre propre impuissance, dans nos propres souffrances. Il s’agit d’un travail exigeant qu’il ne faut jamais entreprendre seul. Il faut éviter de tomber dans le piège le plus important qui nous guette : celui du sauveur. Il ne faut pas croire que nous pouvons seuls réussir à sauver l’endeuillé de son désespoir. Travailler en équipe, en collaboration, en réseau, avec un professionnel si nécessaire, s’avère la meilleure façon de ne pas tomber dans l’isolement de l’endeuillé.
Extrait de : Houde Denis, Les endeuillés par suicide. Revue Vies-à-Vies, vol.8, no.4, février 1996.
Réf. : Saint-Louis, Marc. Guide d’aide à l’intervention. Ta vie j’m’en mêle !. Vol.3. Table de prévention du suicide de l’Université de Montréal, 1994 (22p.).
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