RÉFLEXION SUR LA PLURALITÉ DES APPROCHES EN PSYCHOTHÉRAPIE

Voici quelques extraits d’un article paru dans la revue Psychologie Québec en juillet 2011, signé par Dre Monique Brillon, psychologue et auteure de plusieurs livres dont Les émotions au cœur de la santé où elle tente de rapprocher les neurosciences et la psychanalyse.

« Dans nos bureaux privés, un phénomène apparu depuis peu a tendance à se généraliser. Certaines compagnies d’assurances questionnent le type de psychothérapie offert à leurs bénéficiaires et vont même jusqu’à refuser de rembourser les honoraires du psychologue sous prétexte que le traitement ne convient pas à la problématique. Certains employeurs et médecins font de même, arguant la lenteur des progrès accomplis par l’employé ou le patient en arrêt de travail. Que savent-ils de notre travail pour se prononcer ainsi ? Ces ingérences de la part de tiers me semblent inquiétantes en raison des effets pervers qu’elles peuvent avoir non seulement sur le client, le thérapeute et l’alliance thérapeutique, mais également sur l’ensemble de la profession ».

Le contexte

« Ces ingérences visent-elles le bien-être du client ? On peut penser que pour les compagnies d’assurance, celui-ci vient loin derrière les préoccupations financières, d’où leur intérêt à ce que la thérapie soit la plus brève possible. Quant aux employeurs, l’efficacité et la rapidité des services sont au centre de leurs préoccupations parce qu’ils ont à gérer des listes d’attente, des quarts de travail, des conventions collectives, tout en maintenant des niveaux de production et un service approprié à leur clientèle. De ce fait, ils tolèrent mal les moments d’improductivité engendrés par l ‘épuisement professionnel parce qu’ils coûtent cher à l’entreprise. Quand ils veulent que l’employé « guérisse » rapidement, on peut donc se demander s’ils ne sont pas davantage préoccupés par l’impact de son absence sur la rentabilité et la gestion interne plutôt que par son bien-être, Pourtant, s’ils entraînent des manques à produire pour l’organisme, ces temps d’arrêt sont souvent, pour l’individu en crise, l’occasion de prises de conscience et de changements positifs dans sa vie. Cependant, de telles crises ne se traversent pas toujours rapidement ni sans heurts, surtout lorsque l’employé continue à subir des pressions venant ravier son sentiment d’échec et sa culpabilité ».

« L’intervention du médecin dans le choix d’un traitement est pratique courante dans la culture médicale. Lorsqu’un patient ne répond pas bien à une prescription, le médecin remet rapidement en question la pertinence et cherche une autre solution. Or en psychothérapie, la situation est différente. Les techniques et les approches thérapeutiques ont certes leur rôle à jouer dans la manière d’aborder un symptôme, mais, comme le démontrent plusieurs études1, au-delà de celles-ci, c’est avant tout la qualité de la relation qui garantit le succès de la démarche. Lorsqu’un médecin s’interroge sur l’efficacité d’une thérapie, il le fait peut-être par méconnaissance de notre travail ».

La nature du travail psychothérapeutique

« Lorsqu’une personne nous consulte pour un motif quelconque, les éléments qui nous conduisent au diagnostic sont les caractéristiques qu’elle partage avec un ensemble d’individus. À la liste des symptômes s’ajoute un ensemble de facteurs qui vont influencer la relation thérapeutique : croyances, attitudes, apprentissages, mécanismes de défense et d’adaptation, bref, l’ensemble de la personnalité. Par conséquent, le pronostic s’avère complexe parce qu’il dépend de plusieurs dimensions, certaines non décelables lors des premiers entretiens. Comme le praticien doit composer avec les aléas de la relation, la psychothérapie est plus qu’une simple application de technique. Yves St-Arnaud2 utilise le terme de « facteur G » (général) pour désigner les éléments partagés avec une catégorie diagnostique et celui de « facteur P » (personnel) pour parler des particularités de chacun. Les premiers nous permettent de prévoir en partie les réactions du client à l’intervention et de proposer tel ou tel type de traitement. Une fois la relation engagée, les secondes sont souvent à l’origine des réactions imprévisibles de celui-ci qui risquent de mettre en échec nos prédictions et nos techniques pourtant bien justifiées. Quelle que soit notre approche, nous sommes tous susceptibles d’être confrontés à de telles situations, car c’est au sein d’une relation humaine, avec tout ce que cela implique de subjectivité de part et d’autre, que la thérapie se met en place, évolue ou échoue. La relation de confiance qui s’établit entre le client et nous est un ingrédient déterminant dans le succès de la démarche. On pressent déjà que toute intervention d’un tiers dans cette relation risque de nuire au processus. »

L’articulation entre l’offre et la demande

« Quand un patient consulte un médecin pour un malaise physique, il lui demande d’en trouver la cause et de faire disparaître le symptôme. La maladie est ici considérée comme un corps étranger à éradiquer. Quand un individu consulte pour une difficulté psychologique, la nature de sa demande n’est pas aussi simple. Telle personne peut ressentir ses attaques de panique comme quelque chose qui lui est étranger. Comprendre l’origine de son angoisse lui importe peu, elle souhaite sa disparition et demande à en être débarrassée rapidement. Même si je suis d’allégeance psychanalytique, je n’aurai aucune hésitation à diriger celle-ci vers un collègue cognitivo-comportementaliste susceptible de mieux répondre à sa demande. Une autre personne, devant le même symptôme, peut pressentir que ses crises parlent d’une autre souffrance et, tout en visant une amélioration de son état, souhaiter identifier l’origine du malaise plus général, approfondir sa connaissance d’elle-même et acquérir une plus grande aisance dans sa personnalité. Une approche centrée sur le symptôme ne sera pas son choix et ne lui apportera pas satisfaction. À celle-ci, je proposerai une démarche psychanalytique tout en sachant que le parcours risque d’être plus long et plus sinueux. »

La pluralité des approches : une richesse

« Si des approches différentes existent dans notre profession, cela tient à la grande complexité du fonctionnement humain, particulièrement dans les sphères comportementales, affectives et relationnelles. Chaque approche aborde cette complexité sous l’angle qui lui est propre, l’étudie et tente de la théoriser avec les lunettes grossissantes qui sont les siennes. Parce que chacune se situe à un endroit bien précis pour observer et théoriser, ce qu’elle découvre reflète forcément une facette de la réalité, et ce sont là ses forces. Pour la même raison, tout ce qui se trouve hors du champ visuel de ses lunettes lui échappe, et ce sont là ses faiblesses. Aucune approche ne peut à elle seule englober la totalité d’une telle complexité, mais chacune observe sous sa loupe une tranche non négligeable de celle-ci. Dans la réalité clinique, chaque approche a sa place parce que les besoins des clients sont diversifiés. Certains, plus actifs et plus extravertis, veulent une aide plus concrète et rapide, d’autres, plus introvertis, ont besoin de penser les choses à l’intérieur et recherchent un remaniement psychique en profondeur qui demande du temps à s’élaborer. »

L’impact de l’intervention d’un tiers

« Selon moi, la personne qui consulte est la mieux placée pour savoir intuitivement ce qui peut l’aider. Des recherches montrent d’ailleurs que lorsque le client choisit son traitement, sa collaboration et les résultats sont meilleurs3. Parce que le psychologue est l’expert en psychothérapie, lui seul peut l’orienter vers l’approche qui lui convient. Si, une fois bien informé des avenues possibles, le désir du client est de s’engager dans tel ou tel type de thérapie, nul n’a le droit d’y faire obstacle, ni un tiers ni même moi en tant que thérapeute… »

« Lorsqu’une personne s’engage dans une démarche qu’elle a choisie, l’intervention d’un tiers vient ébranler l’alliance. Si elle provient de l’assureur ou d’un tiers payeur, elle peut craindre de se voir couper l’aide financière sur laquelle elle comptait, ce qui aura peut-être un impact sur sa difficulté à tolérer la lenteur de la progression. Lorsque c’est l’employeur qui met en doute son choix, sa culpabilité ou encore sa colère face à ce dernier que, plus ou moins consciemment, elle peut tenir responsable de son état, peuvent être ravivées. Ceci peut contribuer à son insu à faire stagner la thérapie. Si le doute semé vient du médecin, elle se voit confrontée à deux avis professionnels devant lesquels elle se sent obligée de trancher alors qu’elle est en situation de dépendance par rapport à l’un et à l’autre. Le risque est alors de voir le transfert se cliver, figeant un des aidants dans la position du bon et l’autre dans celle du mauvais. Parce que la thérapie n’est pas sans soulever d’angoisse, c’est souvent le psychologue qui se retrouvera dans la chaise du mauvais, avec les impacts néfastes sur l’alliance thérapeutique. »

« Le cas se complique lorsqu’on est devant un client plus difficile, par exemple celui présentant une organisation limite de la personnalité. Quelle que soit l’approche, le thérapeute sera vite confronté à la puissance du « facteur P » qui viendra mettre en échec ses techniques, sa compréhension et sa bonne volonté. C’est ici que l’intervention d’un tiers, surtout si elle vient remettre en doute sa compétence, risque d’avoir les effets les plus pervers. Le client, déjà habile à brouiller les relations et les identités par sa structure de personnalité, trouvera là nourriture pour alimenter les conflits. L’alliance thérapeutique sera mise à rude épreuve et c’est toute l’entreprise qui risque de sombrer sous les attaques. Le thérapeute aussi est exposé à en ressentir les impacts. Il peut développer de l’agressivité devant l’intrus qui vient bousiller ses efforts, faire collusion avec le client contre le trouble-fête et occulter le fait que les difficultés auxquelles il se bute sont en grande partie imputables à la personnalité de ce dernier. L’intervenant peut aussi s’empêtrer dans un contre-transfert négatif face à ce client difficile qui, le craint-il, risque de nuire à sa réputation… »

Conclusion

« Chaque professionnel privilégie une façon de comprendre et d’analyser le fonctionnement humain qui lui convient personnellement, et c’est l’ajustement de son approche théorique à sa personnalité qui fait de lui un bon thérapeute… Je rêve du jour où nous mettrons de côté nos rivalités inutiles et destructrices pour mettre en commun nos différences, qui sont aussi nos forces, afin de contourner nos faiblesses et ainsi mieux servir le client. Cette richesse dans la différence, bien respectée par chacun, ne peut que donner au public l’image d’un groupe de professionnels compétents, consciencieux et dignes de confiance. »

Bibliographie

1. Lecomte, C., Savard R., Drouin, M.S. et Guillon, V. (2004) : Qui sont les psychothérapeutes efficaces ? Implications pour la formation en psychologie clinique. Revue québécoise de psychologie. 25(3), 73-102.

2. St-Arnaud, Yves (1999) : Le changement assisté. Compétences pour intervenir en relations humaines. Montréal. Ed. Gaëtan Morin.

3. Cronkite, Ruth C. et Moss, Rudolf H. : Life context, coping processes and depression. In Beckham, Edward E. et Leber, William R. (1995). Handbook of Depression. Second Edition, New York, London, The Guilford Press. Pp.569-590.

QUELLE PSYCHOTHÉRAPIE CHOISIR ?

Voici d’autres extraits d’un article paru en février 1998, écrit par Guy Sabourin.

« Michelle Larivey, psychologue avec 25 années d’expérience, nous aide à y voir un peu plus clair pour nous faciliter le choix, quand on aura besoin de consulter un psy. »

« Le courant psychanalytique convient aux gens qui aiment parler, raconter des rêves, fouiller dans leur passé, faire de l’introspection et qui ont, en plus, du temps et … de l’argent. Ils finiront par connaître leurs motifs d’agir, par être plus conscients de leurs actes. Ce courant répond aussi, parfois, à des besoins d’ordre intellectuel : qui je suis, d’où je viens, ce qui s’est passé dans ma famille, pourquoi je suis comme je suis, quels sont mes motifs inconscients, etc. En prime, la personne se sentira probablement soulagée et acceptera ce qu’elle est et ce qui est arrivé dans sa vie. Mais quiconque veut mettre rapidement un terme à des problèmes préoccupants et immédiats doit aller sonner ailleurs. »

« Le courant behavioriste ou comportemental vous aide à trouver rapidement une solution aux problèmes que vous apportez. Par exemple, je me lave les mains 100 fois par jour et j’en ai assez ; j’ai peur des ponts, des avions, des hauteurs et je prends souvent panique dans mon bureau du 24e étage de la Place Ville-Marie ; je veux arrêter de fumer ; j’ai peur des endroits clos ou des grands espaces ; je souffre de panique occasionnelle ; je veux mettre un terme à mes éjaculations précoces, ma frigidité ou mes pannes sexuelles. Le behavioriste s’attaque au comportement qui cause problème et redonne à la personne une meilleure qualité de vie en l’espace de quelques semaines, au plus quelques mois »

« Le courant cognitivo-comportemental vous convaincra que votre peur est irraisonnable par exemple, vous fera comprendre que vous amplifiez vous-mêmes votre problème sur place, en respirant mal par exemple et en vous construisant tout un scénario catastrophique. Ensuite, vous devrez affronter vos démons, mais avec des trucs en poche. Un peu à la fois. Vous n’étoufferez plus parce que vous aurez appris à vous détendre et à bien respirer.

Le courant behavioral convient à ceux qui ne veulent pas consacrer beaucoup de temps et d’énergie à scruter. Le courant cognitivo-comportemental est un entre-deux ; il aide la personne à prendre conscience de ses distorsions cognitives, associées aux comportements maladaptés qui génèrent de la souffrance. Pour ceux qui sont mal à l’aise avec les émotions, qui sont pressés d’en finir avec un comportement dérangeant et qui veulent retrouver une bonne qualité de vie et qui ne sont pas intéressés à fouiller loin dans son passé, à faire de l’introspection, à fouiller ses rêves, à dépenser une somme d’argent plus importante. »

Le courant humaniste pour aller au-delà du symptôme. Les humanistes s’intéressent à la personne dans toutes ses dimensions, à son épanouissement global. Ce courant utilise des méthodes de la psychanalyse et du behaviorisme réunies, mais à sa façon. Comme en psychanalyse, il faut faire de l’introspection, fouiller son passé, apprendre à se connaître, bien sentir ses émotions. Et comme avec un psy behavioriste, il faut aussi affronter des situations difficiles pour peu qu’on espère changer. Par exemple, si on pense et agit comme les autres pour ne plus ressentir les chocs de la critique, on se prive en même temps du sentiment de liberté que procure l’affirmation haut et fort de ses opinions. Une fois cela compris, on peut aller dans une nouvelle direction, conscient des risques à prendre et capable de les assumer. La thérapie humaniste convient aux personnes qui veulent plus que régler un problème : amorcer un changement. Un vrai, durable et en profondeur. À ceux et celles qui ont envie de se rebâtir une vie sur de nouvelles fondations. Qui le veulent assez pour affronter les bouleversements que cela ne manquera pas de créer. Et pour accepter de dépenser quelques années et quelques milliers de dollars. »

Certains psychothérapeutes se disent éclectiques, c’est-à-dire qu’ils empruntent des théories, des outils d’intervention aux différentes approches.