Le Développement psychique : capacité à gérer les tensions est aussi importante que le Q.I..
La Régulation des émotions : essentielle au bon fonctionnement
Il nous arrive tous à un moment ou l’autre de nous sentir envahi par des tensions intérieures; certains ont déjà vécu l’expérience douloureuse de perdre le contrôle. À un degré moindre, on peut parler d’état d’angoisse ou d’anxiété. Cet état hyperactivé a des répercussions importantes sur notre fonctionnement physique, psychologique et social. Des chercheurs ont utilisé la neuroimagerie, au cours des dernières décennies, pour comprendre le fonctionnement du cerveau en ce qui a trait à la régulation des émotions. Voici un bref résumé de ce qui se passe au niveau cérébral, notamment par rapport aux interconnexions neuronales qui existent entre la zone corticofrontale de l’hémisphère droit et de l’hémisphère gauche, où se fait la régulation des émotions.
Voyons d’un peu plus près comment se développe l’hémisphère droit et son fonctionnement.
L’hyperactivité :
L’émotion est associée à l’hémisphère droit. Par contre, elle demeure plus ou moins consciente tant qu’elle n’est pas traitée par les fonctions cognitives supérieures qui se situent dans l’hémisphère gauche (utilisation du langage, analyse, conscience, mémoire, concentration, etc.). L’hémisphère droit contient des neurones (cellules du cerveau) qui traitent l’information venant: 1) du système nerveux autonome (c’est-à-dire les réactions du corps aux états émotionnels), provenant notamment de ce que nous percevons sous le seuil de la conscience dans les situations de face à face (donne un sens à ce qui est perçu dans le ton et le rythme de la voix, les expressions faciales, les mouvements corporels) et; 2) de notre système lymbique, qui est impliqué dans nos réponses affectives aux événements, encodés par la mémorisation et l’association à nos expériences affectives passées. Il possède les structures qui permettent à l’enfant d’évaluer si le visage d’une personne inspire confiance.
Tout passe par l’hémisphère droit avant d’être acheminé dans l’hémisphère gauche.
Voyons plus en détail le développement et le fonctionnement de l’hémisphère droit. Celui-ci commence à se développer au 7 e mois de gestation du fœtus et se poursuit jusqu’à l’âge de 2 ½ ans. Il continue cependant d’avoir des cycles de croissance tout au long de la vie, car il garde une certaine plasticité. Pour le jeune enfant, l’expression faciale de la mère est le stimulus visuel le plus important. Le non-verbal de cette dernière lui transmet des informations sociales et cognitives. De plus, il s’établit une synchronicité affective dans l’interaction qui se crée entre la mère et son nourrisson : la mère ajuste l’intensité et la durée de son état affectif afin d’influencer positivement l’état émotionnel de son enfant.
Tel que décrit précédemment, l’hémisphère droit du bébé, en contact avec le système nerveux autonome et le système lymbique, est stimulé par des neurones qui ne peuventencore traiter l’information provenant de ses réactions émotionnelles. Son cerveau prend comme modèle le produit de la régulation affective du cortex droit de la mère, afin de construire des circuits de connexions neuronales dans son propre cortex droit, connexions qui serviront à moduler ses capacités croissantes. Des expériences interactives de régulation se font autant avec les expériences émotionnelles positives, favorisant la mise en place d’un état de vitalité chez l’enfant, qu’avec les expériences émotionnelles négatives, où l’enfant peut passer d’un état de stress, de peur à un état apaisé. Les expériences émotionnelles positives favorisent le développement d’un lien d’attachement positif avec la personne impliquée. Alors que les expériences émotionnelles négatives, sont l’occasion pour le parent d’enseigner la fonction contenante à son enfant, afin qu’il puisse éventuellement de contenir ses propres affects (autorégulation).
« Permettre au nourrisson de supporter des tensions affectives de plus en plus intenses, en lui faisant vivre des frustrations qui sont appropriées à son stade de développement, intervenir et le réconforter avant que ses émotions le submergent, est l’aspect le plus crucial et le plus difficile des soins maternels. Car il implique que le parent ressente et module aussi bien ses propres états affectifs que ceux de son enfant ». (Allan Schore, La régulation affective et la réparation du Soi, 2008)
L’hémisphère gauche
L’hémisphère gauche quant à lui renferme les structures qui favorisent le développement de la pensée consciente, c’est-à-dire analyser et raisonner, une habileté qui se développe par la pratique et avec le soutien de nos capacités de symbolisation (les mots) et la mémoire.
Tel que vu précédemment, c’est avec l’aide de sa mère que l’enfant parvient à se calmer ; ces expériences relationnelles favorisent le développement des premières connexions neuronales organisées au niveau de l’hémisphère droit. Voici ce que nous dit Murray (1991) : « Dans les moments inévitables de stress et d’agitation chez l’enfant, des émotions sont également présentes chez la mère (…). Lorsque celle-ci est capable de réagir d’une manière appropriée (…) le nourrisson développera à son tour la capacité à tolérer et à composer avec sa propre détresse. » Un réseau d’interconnexions neuronales se construira graduellement entre l’hémisphère droit (émotionnel) et l’hémisphère gauche (rationnel) de l’enfant lorsqu’il atteindra l’âge approximatif de deux ans. L’apprentissage des mots constitue le premier levier de la symbolisation. Ces connexions inter-hémisphères lui permettront de symboliser ses sensations corporelles (émotions, tensions internes, perceptions), qui deviendront alors des états subjectifs conscients, qui pourront éventuellement être verbalisés et, beaucoup plus tard, être analysés sous différents angles. C’est ainsi que prend naissance le « Soi », qui emmagasine des expériences agréables et désagréables et que se développe en partie notre personnalité.
Lorsqu’il y a discontinuité entre l’état émotionnel de la mère et de l’enfant, c’est-à-dire lorsque celle-ci ne s’ajuste pas aux réactions émotionnelles de son enfant et n’assure pas la fonction contenante des affects positifs et négatifs, il y a envahissement émotionnel dans l’hémisphère droit de l’enfant, ce qui provoquera des pleurs. Cela mène souvent à une dysrégulation accrue de la part de la figure maternelle, ce qui ajoute aux tensions de l’enfant. Une fréquence élevée de ces expériences négatives peut nuire au développement et au bon fonctionnement des interconnexions inter-hémisphères, ce qui altérera la mise en place des fonctions adaptatrices émotionnelles.
Il y a deux réponses psychobiologiques du système nerveux autonome de l’enfant au stress: l’hyperactivité et la dissociation. Voyons celles-ci plus en détail.
L’hyperactivité
Dans ce cas-ci, c’est la branche sympathique du système nerveux autonome qui est activée. Elle est associée à la mobilisation de l’énergie. Le rythme cardiaque, la pression artérielle et la respiration s’accélèrent. Elle apparaît lorsqu’un adulte vit une expérience émotionnelle traumatisante. Mais elle se manifeste également chez celui dont les expériences de synchronicité avec la figure maternelle au cours des deux premières années de sa vie n’ont pu être en qualité et quantité suffisantes. La mise en place d’un réseau d’interconnexions neuronales entre l’hémisphère droit et l’hémisphère gauche, qui favorise la régulation des états émotionnels, en provenance des interactions avec les autres et de ses propres états internes, en sera affecté.
L’état d’hyperactivation est inconfortable. Il se manifeste sous forme d’angoisse, de surexcitation. Il affecte les capacités d’attention et de concentration. Il peut mener à une décharge de tensions sous forme de haussements de voix, gestes violents, crises de panique, cauchemars, etc.
La dissociation
La branche parasympathique du système nerveux autonome se met en action lorsque l’état d’envahissement émotionnel est persistant, afin de préserver l’énergie vitale du métabolisme. Des hormones (endorphines) sont déversées afin d’engourdir la douleur et ralentir l’activité. Cela peut se manifester sous différentes formes : un état émotionnel détaché, des réactions de retrait, une réduction du rythme cardiaque, de la respiration, et de la pression artérielle. Il s’agit en quelque sorte de la fuite lorsqu’il n’y a pas de fuite possible. Malheureusement, les comportements de soumission, d’évitement et de restriction de l’affect peuvent devenir encodés (chemins neuronaux, habitudes) au niveau de l’hémisphère droit, ce qui limite la mobilisation et l’expérimentation d’activités vitalisantes. Des conséquences peuvent apparaître au plan développemental, au niveau de l’acquisition d’une estime de soi positive et d’une identité définie.
L’hyperactivation et la dissociation sont aussi associées à des problèmes de fonctionnement comme l’instabilité affective, une faible tolérance au stress, des difficultés relationnelles, des troubles de concentration, de mémorisation et des états dissociatifs. Ces déficits dans le fonctionnement influencent également les fonctions de l’attachement, les capacités d’empathie et de régulation émotionnelle et lorsqu’ils sont plus chroniques, ils sont souvent associés aux troubles de la personnalité, à l’alcoolisme et à la toxicomanie.
Nous disions précédemment que l’hémisphère droit conserve une certaine plasticité, ce qui nous permet d’espérer une croissance de notre fonctionnement tout au long de notre vie. Examinons quelles sont les expériences qui peuvent favoriser le développement de nos capacités de régulation.
Expériences favorisant la régulation émotionnelle
Des expériences interactives de régulation positives peuvent servir de modèle à tout moment de la vie lorsqu’elles sont vécues sur une base régulière et en nombre suffisant pour développer les connexions neuronales, qui permettront éventuellement à la personne de se contenir elle-même. Il peut s’agir par exemple d’une relation intime avec un partenaire amoureux ou un ami, qui possède lui-même la capacité de ressentir et de moduler ses états intérieurs, autant que ceux de son interlocuteur. Le contact direct avec un modèle positif à lui seul n’est pas suffisant. Regardons de plus près comment s’effectue l’apprentissage d’un sport. Il ne suffit pas de regarder les mouvements faits à la perfection par un athlète pour que nous puissions en faire de même. Il faudra de la motivation et des efforts bien guidés, effectués sur une base régulière, pour que des changements positifs apparaissent. Il en va de même avec nos habitudes de fonctionnement, dont la façon dont nous gérons les stress de la vie et les contraintes vécues en relation.
La relation thérapeute-client permet également de recréer un espace favorable au développement. « Le thérapeute psychobiologiquement ajusté agit en quelque sorte comme un régulateur des affects dysrégulés du client. Au cours de l’interaction, le thérapeute tolère et module les états de détresse intense qui sont projetés sur lui, et retourne au client une expérience émotionnelle légèrement différente de la sienne, parce que plus contenue et nuancée. Le client apprend à réguler ses émotions comme le fait le thérapeute et développe de nouvelles habiletés ou de nouveaux comportements utiles en situation de stress émotionnel » (Allan Schore, 2008).
De plus, le thérapeute favorise le développement de connexions entre l’hémisphère droit et l’hémisphère gauche, en mettant des mots sur l’expérience émotionnelle consciente et inconsciente de son client. Le développement de ces connexions permet à la personne d’être moins à la merci de ces tensions qui agissent à un niveau inconscient et de les verbaliser davantage en relation. Un exemple de tension peut être la peur d’être rejeté, critiqué, de ne pas être aimé, qui peut être camouflée (dissociée) par des comportements déployés pour paraître parfait, charmer, attirer la bienveillance, ne jamais s’opposer, ni contrarier.
L’autorégulation peut être développée par des exercices de méditation. Voici la procédure à suivre. Se choisir un endroit calme et une position confortable (assis sur un fauteuil, en lotus par terre, ou couché), pour une durée de dix minutes. L’exercice consiste à se concentrer sur le mouvement de la respiration (en partant des narines où l’air entre, puis qui se rend aux poumons, descend jusqu’au ventre qui se gonfle et se dégonfle avant de remonter et ainsi de suite; ou se concentrer uniquement sur le ventre qui se gonfle et se dégonfle). Tôt ou tard, des pensées, des émotions, des sensations surgiront. Cela est tout à fait normal et fait partie de l’exercice. Nous devons simplement repousser ces tensions (on peut s’imaginer mettre cette pensée dans la paume de notre main et souffler délicatement sur elle) sans se juger et se critiquer, ce qui ne ferait qu’activer notre esprit à nouveau. Nous venons simplement nous reconcentrer sur le mouvement de notre respiration. Le but de cet exercice est donc de développer une conscience de notre esprit dans le moment présent et d’être capable de lâcher prise, ce qui diminue les tensions et a un effet apaisant. Nous permettons le développement de nouvelles connexions neuronales en faisant l’effort de lâcher prise, 10 à 15 minutes, une à deux fois par jour. Nous aurons ainsi en temps voulu, l’habileté de nous calmer, avant que les tensions ne deviennent envahissantes. De plus, en étant plus calme, nous aurons plus facilement accès à nos fonctions cognitives supérieures. Nous pourrons conscientiser nos états intérieurs et les rationnaliser, c’est-à- dire les examiner en tenant compte de la réalité extérieure (les autres et le contexte).
Pour en savoir plus sur la méditation, se référer à la section « Apprendre à relaxer ».
Lucie Dufour, M.Ps. Psychologue, août 2011, révisé 2021.
Bibliographie:
Schore, Allan N., La Régulation affective et la réparation du Soi, Éditions du CIG, 2008, 344p.
Bouchard, Caroline, La Régulation affective de l’hémisphère droit, Revue Psychologie Québec, vol.26, jan 2009, pp 16-23.